dimanche 1 novembre 2020

Jacques

 Jacques est décédé le 17 octobre dernier chez lui dans le marais.

Que pourrais-je dire de Jacques ? Qu’il manque à ses amis.

Je préfère reproduire un article paru dans Ouest-France en 2015


Jacques Kerzanet, un « original » installé sur le polder

Jacques Kerzanet n'est pas un Bouinais tout à fait comme les autres. Cet architecte peint et s'intéresse à l'art sur cette terre ocre qu'est le polder avec ses ports, surtout celui des Brochets.



L'artiste Jacques Kerzanet est originaire de Guérande.

Mais qui c'est ce Jacques Kerzanet, ce « barbouillou » qui vit depuis 30 ans dans une maison sur le polder, près du port du Collet ? Un Breton avec un tel nom ? Ou un Parisien ? « Non, je ne suis pas Parigot tête de veau, même si j'adore en manger ! » rit-il franchement. Car il connaît les expressions du pays pour évoquer les « étrangers ».

En fait, s'il n'est pas Bouinais, il ne vient pas de très loin : « Je suis un cul salé. » Traduire : un natif du pays de Guérande. Atterrir sur le polder bouinais ne fut donc pas tout à fait un hasard, même après une vie nantaise, où son père est instit. Et après une vie parisienne, où il exercera son métier d'architecte et affinera ses sympathies communistes dont il ne fait jamais mystère. Mais sans être prosélyte, loin s'en faut.

Le marais ? « Une invention de l'homme, pour reprendre le livre de Gilles Perraudeau », s'exclame-t-il. Mais il l'aime comme un enfant. « C'est Nicole, mon épouse, qui m'a fait découvrir celui de Bouin, un jour de grand vent ! » La lumière, cet espace infini qui se termine sur l'horizon... Jacques Kerzanet est foudroyé.

S'il est peintre, c'est parce qu'il est architecte, « une continuité naturelle, sans différence fondamentale, où on parle toujours de mise en scène, de perspective, d'agencement de l'espace ».

Quand il s'installe en 1981 (il a 34 ans), de son bureau d'études, place de l'Église, s'échappent des sonorités de Dire Strait. Et les réunions de travail ont lieu au bistrot à côté. Ambiance ! De quoi faire jaser...

Mais Jacques Kerzanet n'est pas un amateur de scènes de plage ni de la veine des peintres de marine. Il est plutôt dans l'art contemporain que dans l'image d'Épinal. « L'art est vindicatif, une remise en cause permanente, quelle que soit la nature du pouvoir. » L'art contemporain n'est cependant, à son goût, « pas contradictoire avec l'art de représentation. Mais c'est une transgression au pouvoir ».

On l'a compris, notre « coco » salé est un rebelle. Et il n'a pas vieilli d'un iota à ce niveau-là, toujours à la recherche de l'art le plus vivant possible. On se souvient, au dernier salon du livre de Saint-Gervais, cette représentation tableaux-poésie déclamée, moment très intense, émotionnel, hélas peu suivi par le public.

On se souvient aussi, à Bois-de-Céné, début juillet, dans cette maison bourgeoise avec les tableaux dehors, les peintres et artistes à un banquet à la Renoir. Et puis, il y a l'association Lumière de Jade. Et cette maisonnette au port des Brochets, la maison de l'éclusier, jonchée d'oeuvres et de livres, « un musée vivant » ouvert à tous vents « volontairement » en été, tout près de chez Pierrette, le bistrot qui s'appelait autrefois Brise-dur.

Pierrette, la protectrice d'Yvon Traineau, peintre récemment disparu. Pierrette qui pourrait être la patronne de tous les artistes maudits de Bouin : Traineau, Lansyer... Et Kerzanet, le communiste, qui trouve un terrain d'entente avec l'ancien conseiller général Michel Dupont, élu très populaire, retiré de la vie politique depuis cette année.

« C'est lui qui a fait germer un port d'artistes, comme en Charente-Maritime ! C'est le politique qui nous sollicite pour nous dire qu'on pouvait faire quelque chose de plus grand. » Mission réussie : des tableaux sont jetés dans le port en 2012, « avec un gueulard sur l'écluse, qui déclamait des poèmes ! »

Un tableau est même revenu au port, comme une bouteille à la mer. Que représentait-il ? Une sirène ! « C'est Michel Dupont qui nous a permis d'accéder à cette maison d'éclusier. »

À l'époque, dire Dupont à Bouin provoquait parfois des méfiances tenaces, « mais je n'en ai cure ! Je sais qu'il y a au pays ceux qui se demandent à quoi sert la peinture... Mais il y a aussi ceux qui ne se posent pas le problème ainsi ». Heureusement pour l'art, qui nous survit, qui embaume nos chagrins, qui rend la vie vivable.

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