Jacques est décédé le 17 octobre dernier chez lui dans le marais.
Que pourrais-je dire de Jacques ? Qu’il manque à ses amis.
Je préfère
reproduire un article paru dans Ouest-France en 2015
Jacques Kerzanet, un «
original » installé sur le polder
Jacques Kerzanet
n'est pas un Bouinais tout à fait comme les autres. Cet architecte
peint et s'intéresse à l'art sur cette terre ocre qu'est le polder
avec ses ports, surtout celui des Brochets.
L'artiste Jacques
Kerzanet est originaire de Guérande.
Mais qui c'est ce
Jacques Kerzanet, ce « barbouillou » qui vit depuis 30 ans
dans une maison sur le polder, près du port du Collet ? Un Breton
avec un tel nom ? Ou un Parisien ? « Non, je ne suis pas Parigot
tête de veau, même si j'adore en manger ! » rit-il
franchement. Car il connaît les expressions du pays pour évoquer
les « étrangers ».
En fait, s'il n'est
pas Bouinais, il ne vient pas de très loin : « Je suis un cul
salé. » Traduire : un natif du pays de Guérande. Atterrir sur
le polder bouinais ne fut donc pas tout à fait un hasard, même
après une vie nantaise, où son père est instit. Et après une vie
parisienne, où il exercera son métier d'architecte et affinera ses
sympathies communistes dont il ne fait jamais mystère. Mais sans
être prosélyte, loin s'en faut.
Le marais ? «
Une invention de l'homme, pour reprendre le livre de Gilles
Perraudeau », s'exclame-t-il. Mais il l'aime comme un enfant. «
C'est Nicole, mon épouse, qui m'a fait découvrir celui de Bouin, un
jour de grand vent ! » La lumière, cet espace infini qui se
termine sur l'horizon... Jacques Kerzanet est foudroyé.
S'il est peintre,
c'est parce qu'il est architecte, « une continuité naturelle,
sans différence fondamentale, où on parle toujours de mise en
scène, de perspective, d'agencement de l'espace ».
Quand il s'installe
en 1981 (il a 34 ans), de son bureau d'études, place de l'Église,
s'échappent des sonorités de Dire Strait. Et les réunions de
travail ont lieu au bistrot à côté. Ambiance ! De quoi faire
jaser...
Mais Jacques
Kerzanet n'est pas un amateur de scènes de plage ni de la veine des
peintres de marine. Il est plutôt dans l'art contemporain que dans
l'image d'Épinal. « L'art est vindicatif, une remise en cause
permanente, quelle que soit la nature du pouvoir. » L'art
contemporain n'est cependant, à son goût, « pas contradictoire
avec l'art de représentation. Mais c'est une transgression au
pouvoir ».
On l'a compris,
notre « coco » salé est un rebelle. Et il n'a pas vieilli
d'un iota à ce niveau-là, toujours à la recherche de l'art le plus
vivant possible. On se souvient, au dernier salon du livre de
Saint-Gervais, cette représentation tableaux-poésie déclamée,
moment très intense, émotionnel, hélas peu suivi par le public.
On se souvient
aussi, à Bois-de-Céné, début juillet, dans cette maison
bourgeoise avec les tableaux dehors, les peintres et artistes à un
banquet à la Renoir. Et puis, il y a l'association Lumière de Jade.
Et cette maisonnette au port des Brochets, la maison de l'éclusier,
jonchée d'oeuvres et de livres, « un musée vivant » ouvert
à tous vents « volontairement » en été, tout près de
chez Pierrette, le bistrot qui s'appelait autrefois Brise-dur.
Pierrette, la
protectrice d'Yvon Traineau, peintre récemment disparu. Pierrette
qui pourrait être la patronne de tous les artistes maudits de Bouin
: Traineau, Lansyer... Et Kerzanet, le communiste, qui trouve un
terrain d'entente avec l'ancien conseiller général Michel Dupont,
élu très populaire, retiré de la vie politique depuis cette année.
« C'est lui qui
a fait germer un port d'artistes, comme en Charente-Maritime ! C'est
le politique qui nous sollicite pour nous dire qu'on pouvait faire
quelque chose de plus grand. » Mission réussie : des tableaux
sont jetés dans le port en 2012, « avec un gueulard sur
l'écluse, qui déclamait des poèmes ! »
Un tableau est même
revenu au port, comme une bouteille à la mer. Que représentait-il ?
Une sirène ! « C'est Michel Dupont qui nous a permis d'accéder
à cette maison d'éclusier. »
À l'époque, dire
Dupont à Bouin provoquait parfois des méfiances tenaces, « mais
je n'en ai cure ! Je sais qu'il y a au pays ceux qui se demandent à
quoi sert la peinture... Mais il y a aussi ceux qui ne se posent pas
le problème ainsi ». Heureusement pour l'art, qui nous survit,
qui embaume nos chagrins, qui rend la vie vivable.